Faire tintin

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Mots de l'année 2015

Le mot de l'année 2015 a déjà été choisi!

Qu'un sang impur abreuve nos sillons

Ces quelques mots de la Marseillaise font polémique. Découvrez pourquoi.

Nouveaux mots

Le Larousse 2016 a dévoilé ses nouveaux mots!

Optimismer

Avec Carrefour, avant, on positivait. En 2015, on "optimisme"!

jeudi 21 mars 2013

Glissement de sens

Les glissements de sens sont un élément fondamental de notre langue. Penchons-nous sur ce point fascinant.
Voilà comment l'Académie Française le définit : Le glissement de sens est une "évolution du sens d'un mot vers un autre sens qui lui est proche. C'est par une succession de glissements de sens que le mot "bureau" (à l'origine "étoffe de bure") a pris sa signification actuelle".
Un glissement de sens peut se produire de différentes façons, pour différentes raisons:


- par extension : Prenons l'exemple du mot "Achalandé" Le définition d'origine est : "qui a de nombreux clients, en parlant d'un magasin, d'un commerce, ou de la personne qui le tient. La boutique, située dans une rue passante, est très achalandée". Par extension, un magasin qui attire de nombreux clients est un magasin bien approvisionné. Par glissement de sens, le mot "achalandé" est donc devenu "qui est bien approvisionné, fourni de marchandises abondantes et variées". Cet usage est toutefois considéré comme abusif, mais il s'agit d'un glissement de sens.


- par réduction (ou spécialisation du sens) : Prenons l'exemple du mot "Américain", qui désignait à l'origine un habitant du continent Américain... et qui maintenant, en raison de la puissance des Etats-Unis, désigne les habitants de ce pays. Alors qu'un Européen désigne un habitant de l'Europe et non d'un pays en particulier, puisqu'aucun pays d'Europe ne domine vraiment le continent.

- par métonymie (c'est-à-dire par relation logique entre deux notions): On a parlé précédemment dans ce blog du mot "gourmand", utilisé pour désigné un plat appétissant. Par métonymie, un plat gourmand est un plat "apprécié par les gourmands".


- par métaphore: on peut prendre l'exemple d'un "aile" d'avion, la "fleur" de l'âge, la "racine" du mal...


- par proximité phonique: on a déjà analysé le mot "roboratif" sur ce blog. Penchons-nous sur le mot "errement", qui signifie "mauvaise habitude", et qui a tendance à prendre le sens du mot "erreur" dans l'esprit des gens, à cause de la proximité de prononciation des deux mots.


- par contexte social : Le mot "racisme" a glissé de sens suite à l'arrivée des extrèmismes au XXème siècle, en passant d'un sens neutre à un sens péjoratif. A l'origine, le mot s'appliquait à des caractères biologiques d'un peuple (d'une race). Le sens du mot a glissé d'un constat biologie vers un rejet d'une catégorie de population, incluant sa façon de vivre, sa culture, son physique, sa religion et d'autres critères non biologique. Ce mot peut servir à désigner n'importe quel comportement de rejet, si bien qu'il ne nécessite plus d'argumentation : dire "vous êtes raciste" n'amène aucune réponse et permet à son auteur de ne pas avoir à s'expliquer. L'exemple du mot "bourgeois" est également édifiant : on est passé de l'habitant du bourg, à un individu préocuppé par ses intérêts personnels.


- par affadissement : le mot "charme" désignait autrefois un attrait puissant, à la limite de la magie. Il est devenu au fil du temps quelque chose d'agréable, de poétique. Le mot a perdu sa force.

Pour clôturer, nous pouvons analyser l'étymologie du mot "Bureau", qui est une suite de glissements de sens par extension (source : dictionnaire de l'Académie Française) :
(1150) burel (ou "bure") = « étoffe grossière »
(1316) bureau = « tapis sur lequel on fait des comptes »
(1361) bureau = « la table où l'on fait les comptes »
(1495) bureau = « lieu où l'on fait les comptes »
(xv e siècle) bureau = « pièce, lieu de travail, cabinet »
(xvi e siècle) bureau = « établissement ouvert au public où s'exécute un service d'intérêt collectif (débit, recette, etc.) »
Aujourd'hui, le bureau est aussi une table de travail. Ou comment passer d'une étoffe à un lieu, en quelques centaines d'années de glissement de sens!























mardi 19 mars 2013

Cerf-volant

D'où vient donc ce mot "cerf-volant" ? Un cerf ne vole pas!
La source de ce mot nous vient du XVIIème siècle, et plus précisément du mot méridional "serp-volante", qui signifiait "Serpent volant", en référence aux dragons volants importés de Chine, à une époque où le raffinement ultime consistait à se procurer tout ce qui pouvait venir d'Orient.
En breton, on dit également "sarpant-nij" pour désigner le cerf-volant.
Le mot serp a ensuite disparu de la langue française, et par proximité phonique a été remplacé par "cerf".
source : le dictionnaire de l'Académie Française.


Dire, ne pas dire

L'académie Française a récemment lancé une nouvelle section sur son site web, dédiée à certaines expressions abusives, utilisées notamment dans les médias : "Dire, ne pas dire". On y retrouve quelques articles qui mettent à mal certaines idées reçues, et cela ne fait pas de mal de se mettre à jour et d'éviter de saccager notre belle langue : http://www.academie-francaise.fr/dire-ne-pas-dire

Au demeurant, rappelons que l'Académie Française répond à des questions de langue que l'on se pose souvent, telle que : pourquoi sit-on soixante-dix et non septante en Français, peut-on dire : "je rentre sur Paris"? etc : http://www.academie-francaise.fr/la-langue-francaise/questions-de-langue

mercredi 6 mars 2013

Crève-coeur

A l'occasion du décès de Daniel Darc, compositeur du très bel album "Crève-coeur", penchons-nous sur ce double mot.
Un crève-coeur est quelque chose qui fait souffrir, qui est sujet de peine, et par extension, une déception, un déplaisir, un désappointement, une douleur.
Le coeur, à cause de son battement influencé par les émotions est souvent considéré en effet comme le siège de l'émotion dans de très nombreuses expressions, comme fendre le coeur, avoir le coeur en peine, un coeur à prendre, briser le coeur.
En anglais, crève-coeur se dit "heartbreak" et emprunte la même étymologie.

Pieuvre


Vous ne le savez peut-être pas, mais le mot "Pieuvre" a été introduit dans la langue française par Victor Hugo. 

Avant lui, on parlait de "poulpe" uniquement.

En effet, dans "Les travailleurs de la mer", publié en 1865 lors de son exil à Guernesey, Victor Hugo a consacré un chapitre entier à cet animal marin, qu'il appela "pieuvre", car c'était ainsi qu'on le nommait dans le dialecte de Guernesey.




Voilà l'extrait :
Pour croire à la pieuvre, il faut l’avoir vue. Comparées à la pieuvre, les vieilles hydres font sourire. À de certains moments, on serait tenté de le penser, l’insaisissable qui flotte en nos songes rencontre dans le possible des aimants auxquels ses linéaments se prennent, et de ces obscures fixations du rêve il sort des êtres. L’Inconnu dispose du prodige, et il s’en sert pour composer le monstre. Orphée, Homère et Hésiode n’ont pu faire que la Chimère ; Dieu a fait la Pieuvre. Quand Dieu veut, il excelle dans l’exécrable. Le pourquoi de cette volonté est l’effroi du penseur religieux. Tous les idéals étant admis, si l’épouvante est un but, la pieuvre est un chef-d’œuvre.  La baleine a l’énormité, la pieuvre est petite ; l’hippopotame a une cuirasse, la pieuvre est nue ; la jararaca a un sifflement, la pieuvre est muette ; le rhinocéros a une corne, la pieuvre n’a pas de corne ; le scorpion a un dard, la pieuvre n’a pas de dard ; le buthus a des pinces, la pieuvre n’a pas de pinces ; l’alouate a une queue prenante, la pieuvre n’a pas de queue ; le requin a des nageoires tranchantes, la pieuvre n’a pas de nageoires ; le vespertilio-vampire a des ailes onglées, la pieuvre n’a pas d’ailes ; le hérisson a des épines, la pieuvre n’a pas d’épines ; l’espadon a un glaive, la pieuvre n’a pas de glaive ; la torpille a une foudre, la pieuvre n’a pas d’effluve ; le crapaud a un virus, la pieuvre n’a pas de virus ; la vipère a un venin, la pieuvre n’a pas de venin ; le lion a des griffes, la pieuvre n’a pas de griffes ; le gypaète a un bec, la pieuvre n’a pas de bec ; le crocodile a une gueule, la pieuvre n’a pas de dents. La pieuvre n’a pas de masse musculaire, pas de cri menaçant, pas de cuirasse, pas de corne, pas de dard, pas de pince, pas de queue prenante ou contondante, pas d’ailerons tranchants, pas  d’ailerons onglés, pas d’épines, pas d’épée, pas de décharge électrique, pas de virus, pas de venin, pas de griffes, pas de bec, pas de dents. La pieuvre est de toutes les bêtes la plus formidablement armée. Qu’est-ce donc que la pieuvre ? C’est la ventouse. Dans les écueils de pleine mer, là où l’eau étale et cache toutes ses splendeurs, dans les creux de rochers non visités, dans les caves inconnues où abondent les végétations, les crustacés et les coquillages, sous les profonds portails de l’océan, le nageur qui s’y hasarde, entraîné par la beauté du lieu, court le risque d’une rencontre. Si vous faites cette rencontre, ne soyez pas curieux, évadez-vous. On entre ébloui, on sort terrifié. Voici ce que c’est que cette rencontre, toujours possible dans les roches du large. Une forme grisâtre oscille dans l’eau, c’est gros comme le bras, et long d’une demi-aune environ ; c’est un chiffon ; cette forme ressemble à un parapluie fermé qui n’aurait pas de manche. Cette loque avance vers vous peu à peu. Soudain, elle s’ouvre, huit rayons s’écartent brusquement autour d’une face qui a deux yeux ; ces rayons vivent ; il y a du flamboiement dans leur ondoiement ; c’est une sorte de roue ; déployée, elle a quatre ou cinq pieds de diamètre. Épanouissement effroyable. Cela se jette sur vous. L’hydre harponne l’homme. Cette bête s’applique sur sa proie, la recouvre, et la noue de ses longues bandes. En dessous elle est jaunâtre, en dessus elle est terreuse ; rien ne saurait rendre cette inexplicable nuance poussière ; on dirait une bête faite de cendre qui habite l’eau. Elle est arachnide par la forme et caméléon par la coloration. Irritée, elle devient violette. Chose épouvantable, c’est mou. Ses nœuds garrottent ; son contact paralyse. Elle a un aspect de scorbut et de gangrène. C’est de la maladie arrangée en monstruosité. Elle est inarrachable. Elle adhère étroitement à sa proie. Comment ? Par le vide. Les huit antennes, larges à l’origine, vont s’effilant et  s’achèvent en aiguilles. Sous chacune d’elles s’allongent parallèlement deux rangées de pustules décroissantes, les grosses près de la tête, les petites à la pointe. Chaque rangée est de vingt-cinq ; il y a cinquante pustules par antenne, et toute la bête en a quatre cents. Ces pustules sont des ventouses. Ces ventouses sont des cartilages cylindriques, cornés, livides. Sur la grande espèce, elles vont diminuant du diamètre d’une pièce de cinq francs à la grosseur d’une lentille. Ces tronçons de tubes sortent de l’animal et y rentrent. Ils peuvent s’enfoncer dans la proie de plus d’un pouce. Cet appareil de succion a toute la délicatesse d’un clavier. Il se dresse, puis se dérobe. Il obéit à la moindre intention de l’animal. Les sensibilités les plus exquises n’égalent pas la contractilité de ces ventouses, toujours proportionnée aux mouvements intérieurs de la bête et aux incidents extérieurs. Ce dragon est une sensitive. Ce monstre est celui que les marins appellent poulpe, que la science appelle céphalopode, et  que la légende appelle kraken. Les matelots anglais l’appellent Devil-fish, le Poisson-Diable. Ils l’appellent aussi Blood-Sucker, Suceur de sang. Dans les îles de la Manche on le nomme la pieuvre. Il est très rare à Guernesey, très petit à Jersey, très gros et assez fréquent à Serk. Une estampe de l’édition de Buffon par Sonnini représente un céphalopode étreignant une frégate. Denis Montfort pense qu’en effet le poulpe des hautes latitudes est de force à couler un navire. Bory Saint-Vincent le nie, mais constate que dans nos régions il attaque l’homme. Allez à Serk, on vous montrera près de BrecqHou le creux de rocher où une pieuvre, il y a quelques années, a saisi, retenu et noyé un pêcheur de homards. Péron et Lamarck se trompent quand ils doutent que le poulpe, n’ayant pas de nageoires, puisse nager. Celui qui écrit ces lignes a vu de ses yeux à Serk, dans la cave dite les Boutiques, une pieuvre poursuivre à la nage un baigneur. Tuée, on la mesura, elle avait quatre pieds anglais d’envergure, et l’on put compter les quatre cents suçoirs. La bête agonisante les poussait hors d’elle convulsivement. Selon Denis Montfort, un de ces observateurs que l’intuition à haute dose fait descendre ou monter jusqu’au magisme, le poulpe a presque des passions d’homme ; le poulpe hait. En effet, dans l’absolu, être hideux, c’est haïr. Le difforme se débat sous une nécessité d’élimination qui le rend hostile. La pieuvre nageant reste, pour ainsi dire, dans le fourreau. Elle nage, tous ses plis serrés. Qu’on se représente une manche cousue avec un poing dedans. Ce poing, qui est la tête, pousse le liquide et avance d’un vague mouvement ondulatoire. Ses deux yeux, quoique gros, sont peu distincts étant de la couleur de l’eau. La pieuvre en chasse ou au guet, se dérobe ; elle se rapetisse, elle se condense ; elle se réduit à la plus simple expression. Elle se confond avec la pénombre. Elle a l’air d’un pli de la vague. Elle ressemble à tout, excepté à quelque chose de vivant. La pieuvre, c’est l’hypocrite. On n’y fait pas attention ; brusquement, elle s’ouvre. Une viscosité qui a une volonté, quoi de plus effroyable ! De la glu pétrie de haine. C’est dans le plus bel azur de l’eau limpide que surgit cette hideuse étoile vorace de la mer. Elle n’a pas d’approche, ce qui est terrible. Presque toujours, quand on la voit, on est pris. La nuit, pourtant, et particulièrement dans la saison du rut, elle est phosphorescente. Cette épouvante a ses amours. Elle attend l’hymen. Elle se fait belle, elle s’allume, elle s’illumine, et, du haut de quelque rocher, on peut l’apercevoir au dessous de soi dans les profondes ténèbres épanouie en une irradiation blême, soleil spectre. La pieuvre nage ; elle marche aussi. Elle est un peu poisson, ce qui ne l’empêche pas d’être un peu reptile. Elle rampe sur le fond de la mer. En marche elle utilise ses huit pattes. Elle se traîne à la façon de la chenille arpenteuse. Elle n’a pas d’os, elle n’a pas de sang, elle n’a pas de chair. Elle est flasque. Il n’y a rien dedans. C’est une peau. On peut retourner ses huit tentacules du dedans au dehors comme des doigts de gants. Elle a un seul orifice, au centre de son rayonnement. Cet hiatus unique, est-ce l’anus ? est-ce la bouche ? C’est les deux. La même ouverture fait les deux fonctions. L’entrée est l’issue. Toute la bête est froide. Le carnasse de la Méditerranée est repoussant. C’est un contact odieux que cette gélatine animée qui enveloppe le nageur, où les mains s’enfoncent, où les ongles labourent, qu’on déchire sans la tuer, et qu’on arrache sans l’ôter, espèce d’être coulant et tenace qui vous passe entre les doigts ; mais aucune stupeur n’égale la subite apparition de la pieuvre, Méduse servie par huit serpents. Pas de saisissement pareil à l’étreinte de ce céphalopode. C’est la machine pneumatique qui vous attaque. Vous avez affaire au vide ayant des pattes. Ni coups d’ongles, ni coups de dents ; une scarification indicible. Une morsure est redoutable ; moins qu’une succion. La griffe n’est rien près de la ventouse. La griffe, c’est la bête qui entre dans votre chair ; la ventouse, c’est vous-même qui entrez dans la bête. Vos muscles s’enflent, vos fibres se tordent, votre peau éclate sous une pesée immonde, votre sang jaillit et se mêle affreusement à la lymphe du mollusque. La bête se superpose à vous par mille bouches infâmes ; l’hydre s’incorpore à l’homme ; l’homme s’amalgame à l’hydre. Vous ne faites qu’un. Ce rêve est sur vous. Le tigre ne peut que vous dévorer ; le poulpe, horreur ! vous aspire. Il vous tire à lui et en lui, et, lié, englué, impuissant, vous vous sentez lentement vidé dans cet épouvantable sac, qui est un monstre. Au delà du terrible, être mangé vivant, il y a l’inexprimable, être bu vivant. Ces étranges animaux, la science les rejette d’abord, selon son habitude d’excessive prudence, même vis-à-vis des faits, puis elle se décide à les étudier ; elle les dissèque, elle les classe, elle les catalogue, elle leur met une étiquette ; elle s’en procure des exemplaires ; elle les expose sous verre dans les musées ; ils entrent dans la nomenclature ; elle les qualifie mollusques, invertébrés, rayonnés ; elle constate leurs voisinages : un peu au-delà les calmars, un peu en deçà les sépiaires ; elle trouve à ces hydres de l’eau salée un analogue dans l’eau douce, l’argyronecte ; elle les divise en grande, moyenne et petite espèce ; elle admet plus aisément la petite espèce que la grande, ce qui est d’ailleurs, dans toutes les régions, la tendance de la science, laquelle est plus volontiers microscopique que télescopique ; elle regarde leur construction et les appelle céphalopodes, elle compte leurs antennes et les appelle octopèdes. Cela fait, elle les laisse là. Où la science les lâche, la philosophie les reprend. La philosophie étudie à son tour ces êtres. Elle va moins loin et plus loin que la science. Elle ne les dissèque pas, elle les médite. Où le scalpel a travaillé, elle plonge l’hypothèse. Elle cherche la cause finale. Profond tourment du penseur. Ces créatures l’inquiètent presque sur le créateur. Elles sont les surprises hideuses. Elles sont les trouble-fête du contemplateur. Il les constate éperdu. Elles sont les formes voulues du mal. Que devenir devant ces blasphèmes de la création contre elle-même ? À qui s’en prendre ? Le Possible est une matrice formidable. Le mystère se concrète en monstres. Des morceaux d’ombre sortent de ce bloc, l’immanence, se déchirent, se détachent, roulent, flottent, se condensent, font des emprunts à la noirceur ambiante, subissent des polarisations inconnues, prennent vie, se composent on ne sait quelle forme avec l’obscurité et on ne sait quelle âme avec le miasme, et s’en vont, larves, à travers la vitalité. C’est quelque chose comme les ténèbres faites bêtes. À quoi bon ? à quoi cela sert-il ? Rechute de la question éternelle. Ces animaux sont fantômes autant que monstres. Ils sont prouvés et improbables. Être est leur fait, ne pas être serait leur droit. Ils sont les amphibies de la mort. Leur invraisemblance complique leur existence. Ils touchent la frontière humaine et peuplent la limite chimérique. Vous niez le vampire, la pieuvre apparaît. Leur fourmillement est une certitude qui déconcerte notre assurance. L’optimisme, qui est le vrai pourtant, perd presque contenance devant eux. Ils sont l’extrémité visible des cercles noirs. Ils marquent la transition de notre réalité à une autre.Ils semblent appartenir à ce commencement d’êtres terribles que le songeur entrevoit confusément par le soupirail de la nuit. Ces prolongements de monstres, dans l’invisible d’abord, dans le possible ensuite, ont été soupçonnés, aperçus peut-être, par l’extase sévère et par l’œil fixe des mages et des philosophes. De là la conjecture d’un enfer. Le démon est le tigre de l’invisible. La bête fauve des âmes a été dénoncée au genre humain par deux visionnaires, l’un qui s’appelle Jean, l’autre qui s’appelle Dante. Si en effet les cercles de l’ombre continuent indéfiniment, si après un anneau il y en a un autre, si cette aggravation persiste en progression illimitée, si cette chaîne, dont pour notre part nous sommes résolu à douter, existe, il est certain que la pieuvre à une extrémité prouve Satan à l’autre. Il est certain que le méchant à un bout prouve à l’autre bout la méchanceté. Toute bête mauvaise, comme toute intelligence perverse, est sphinx.Sphinx terrible proposant l’énigme terrible. L’énigme du mal. C’est cette perfection du mal qui a fait pencher parfois de grands esprits vers la croyance au dieu double, vers le redoutable bi-frons des manichéens. Une soie chinoise, volée dans la dernière guerre au palais de l’empereur de la Chine, représente le requin qui mange le crocodile qui mange le serpent qui mange l’aigle qui mange l’hirondelle qui mange la chenille. Toute la nature que nous avons sous les yeux est mangeante et mangée. Les proies s’entremordent. Cependant des savants qui sont aussi des philosophes, et par conséquent bienveillants pour la création, trouvent ou croient trouver l’explication. Le but final frappe, entre autres, Bonnet de Genève, ce mystérieux esprit exact, qui fut opposé à Buffon, comme plus tard Geoffroy Saint-Hilaire l’a été à Cuvier. L’explication serait ceci : la mort partout exige l’ensevelissement partout. Les voraces sont des ensevelisseurs. Tous les êtres rentrent les uns dans les autres. Pourriture, c’est nourriture. Nettoyage effrayant du globe. L’homme, carnassier, est, lui aussi, un enterreur. Notre vie est faite de mort. Telle est la loi terrifiante. Nous sommes sépulcres. Dans notre monde crépusculaire, cette fatalité de l’ordre produit des monstres. Vous dites : à quoi bon ? Le voilà. Est-ce l’explication ? Est-ce la réponse à la question ? Mais alors pourquoi pas un autre ordre ? La question renaît. Vivons, soit. Mais tâchons que la mort nous soit progrès. Aspirons aux mondes moins ténébreux. Suivons la conscience qui nous y mène. Car, ne n’oublions jamais, le mieux n’est trouvé que par le meilleur. 
Ou comment la littérature influence notre langue de tous les jours!